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Grands moais et ptits pingouins

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24 août 2013

"Le juge et le général" : projections en France et en Belgique

affiche du film le juge et le général

 

À l'occasion des 40 ans du coup d'État d'Augusto Pinochet au Chili le 11 septembre 1973, le documentaire d'Elizabeth Farnsworth et de Patricio Lanfranco, Le juge et le général [El juez y el general, 2008], sera diffusé en France et en Belgique.

Une série de projections est prévue, dont la majorité en présence du juge chilien Juan Guzmán et de l'écrivain et journaliste français Jac Forton (voir liste ci-dessous). Le film sera sous-titré en français.

Il avait été question sur ce blog de ce film au moment de la projection du film El juez y el general par l'alliance française de Concepción (Chili), en septembre 2011. Comme je l'écrivais alors, ce type de projection n'a rien d'anodin dans un pays encore très divisé, où une justice transitionnelle doit trouver son chemin (voir El juez y el general).

Le documentaire a ceci d'extraordinaire qu'il montre à l'œuvre un juge lui-même pinochetiste repenti, désigné pour instruire les plaintes des Chiliens en 1998, prenant peu à peu conscience des crimes commis par la dictature militaire.

Une interview du réalisateur Patricio Lanfranco paraîtra prochainement sur ce site.

Diffusion et projections

Le film sera diffusé sur la chaîne franco-allemande Arte dans la nuit du mardi 3 septembre 2013 à minuit.

Télécharger la liste des projections en espagnol. Descargar la lista de las exhibiciones en español: Exhibiciones_de_El_Juez_y_el_General_en_Europa

PARIS

  • 12 septembre 2013 | 19h
    Maison de l'Amérique latine, 217 boulevard Saint-Germain, 7e arrondissement
    La projection sera suivie d'une rencontre avec le juge Juan Guzmán et le journaliste Jac Forton
  • 19 septembre 2013 | 20h30
    Cinéma Action Christine, 4 rue Christine, 6e arrondissement
    La projection sera suivie d'une rencontre avec le juge Juan Guzmán et le journaliste Jac Forton

CHAMBÉRY

  • 14 septembre 2013 | 17h
    Cinéma Forum, 28, place du Forum
    La projection sera suivie d'une rencontre avec le juge Juan Guzmán et le journaliste Jac Forton

GRENOBLE

  • 16 septembre 2013 | 20h
    Cinéma Le Méliès, allée Henri-Frenay
    La projection sera suivie d'une rencontre avec le juge Juan Guzmán
  • 17 septembre 2013 | 18h
    Palais du parlement, place Saint-André
    Table ronde « Mémoire et justice : la dictature et le Chili d'aujourd'hui », avec la participation du juge chilien Juan Guzmán, de Sophie Thonon, avocate au barreau de Paris et du journaliste Jac Forton.

    Projections organisées par le collectif « Chili 1973-2013, Mémoires et Résistances », en partenariat avec le musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère pour la table ronde.

BRUXELLES

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12 juin 2013

LAN ou le racisme qui s'ignore 2. LAN repeuple les zoos humains

zoologicos-humanos_libro

Couverture de Zoológicos humanos. Fotografías de fueguinos y mapuche en el Jardin d'Acclimatation de París, siglo XIX, éd. Pehuén, 2006

Cet article est également paru sur mon blog Mediapart.

La compagnie aérienne chilienne LAN présente sur son site Internet un tutoriel (voir article précédent – la vidéo est indisponible à ce jour), destiné à expliquer à ses clients la marche à suivre pour payer leurs billets d’avion avec les kilomètres accumulés au cours de leur précédent voyage.

Un tutoriel donnant une actualité à un racisme très XIXe siècle, du temps où la création des zoos humains était au service de la légitimation de la colonisation. 

2. LAN repeuple les zoos humains, cette invention européenne 

Hasard du calendrier, comme on dit, il vient de se jouer à Concepción (à 500 km au sud de Santiago du Chili), une pièce de théâtre de la compagnie chilienne La Patogallina, Extranjero. El último Hain) portant sur l’enlèvement par le Français Maurice Maître d’« indigènes » du Chili au XIXe siècle : des Selk’nam de la Terre de Feu ont été arrachés à leur vie pour être exhibés comme des animaux dans des « zoos humains » à l’occasion de l’Exposition universelle de 1889.

1889. L’année où l’on a construit la tour Eiffel pour célébrer le centenaire de la Révolution. Celle de l’égalité, de la liberté et de la fraternité, comme le rappelle l’excellent documentaire de Pascal Blanchard et Éric Deroo, Zoos humains (2002), dont je reprends l’essentiel du propos ici.

On parle de « zoos » humains, car c’est bien un importateur d’animaux, l’Allemand Carl Hagenbeck, qui lança l’affaire. Affaire également conclue avec Albert Geoffroy Saint-Hilaire, le directeur du Jardin zoologique d’acclimatation de Paris, où des personnes remplacèrent les animaux dévorés pendant le siège de Paris de 1870-1871.

Les Indiens d’Amérique du Sud de Maurice Maître, tout comme les « indigènes » des colonies françaises, eux aussi enlevés à leur pays, y étaient présentés comme des cannibales (car quoi de plus sauvage qu’un cannibale ?). Qu’il n’étaient pas. 

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Selk'nams (habitants de la Terre de Feu, île de l'extrême Sud du Chili et de l'Argentine) avec Maurice Maître, 1889. Auteur inconnu.

La mise en scène de la sauvagerie ou la construction d’un regard raciste

Ce mensonge n’était pas vraiment un problème pour les impresarios qui, flairant une affaire juteuse (de fait ces foires ont accueilli autour de 400 millions de visiteurs occidentaux et exhibé 30 000 personnes pendant un demi-siècle à travers l'Europe [1]), savaient mettre leur sens de la mise en scène au service du voyeurisme européen, et d’un pouvoir colonial auquel l’invention de la hiérarchie des races permettait de justifier à la fois les conquêtes et le travail forcé (mis en place par Napoléon III en 1853, 5 ans après la seconde abolition de l'esclavage, puis à travers les Codes de l'indigénat).

On ne reculait devant aucune manipulation. On habillait les Amazones du Dahomey (actuel Bénin) de costumes qui n’existaient pas, on forçait des femmes à se déshabiller pour se montrer seins nus et satisfaire ainsi la libido masculine. Les spectatrices n’étaient pas en reste devant les corps quasi nus des Zoulous d’Afrique du Sud. On prenait soin de ramener une femme à peine enceinte pour ajouter un numéro au spectacle : « Une naissance au village ». On a également inventé l’existence des Niam-Niams, sauvages brutaux par excellence [2].

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 Mapuches exhibés au Jardin d'Acclimatation de Paris, photo de Pierre Petit, 1883.

Tout un univers réinventé et scénarisé, au service d’une organisation du monde qui exonérait les empires coloniaux de toute remise en question. Il était important, pour légitimer la soi-disant conquête civilisatrice, de montrer des sauvages.

Ils s’avéraient parler un français parfait ? Ne pas correspondre à l’image du barbare que l’on voulait exhiber ? Aucun problème : les acteurs de ce qui deviendrait « les fantasmes de l’Occident », disent les auteurs du documentaire – fantasmes auxquels certains s’accrochent encore certains – étaient sous contrat (ce qui ne veut pas toujours dire payés en espèces sonnantes et trébuchantes). Ils jouaient donc leurs rôles de cannibales, de sauvages, et parlaient « petit nègre » (au Chili, l’expression équivalente, et qui a toujours cours, est « hablar como un indio – parler comme un Indien).

Un spectacle à géométrie variable

L’entreprise est rentable à la fois économiquement et politiquement. Inutile en effet de tenir de longs discours [3] : la place de spectateur et celle d’exhibé explicitent le statut de cet « autre », concept excellemment analysé par la philosophe et sociologue Christine Delphy [4].

Bientôt on ajouta aux côtés des personnes, dans les villages « reconstitués », des richesses (café, cacao, bois…) qu’il convenait d’exploiter, leurs propriétaires les délaissant trop au goût des autrement plus ambitieux Européens.

On construisit des bâtiments pour laisser penser, par contraste avec leur habitat « précaire » (tentes, huttes…), que Touaregs, Kanaks ou Laotiens bénéficiaient de la protection bienvenue de la France.

Quand il fallut faire montre de la création d’États nations modernes, unis, alors les Africains, ravalés au rang d’inférieurs, servirent de repoussoirs pour se trouver des points communs entre Bretons, Corses et Basques.

L’Exposition universelle ou comment fabriquer de toutes pièces, à travers des événements ludiques et pseudo-pédagogiques aux conséquences dramatiques, le spécimen d’humain non humain. Haute manifestation de civilisation s’il en est, ce que ne manquera pas de signaler Aimé Césaire dans son Discours sur le colonialisme. Le domaine de la pensée fait sa part du travail, puisque bien des philosophes n’ont pas trouvé contraire à la logique de considérer comme inférieures nombres de « populations » – à commencer par les femmes.

La science du XIXe siècle a également déployé de grands moyens pour étayer l’idée d’une prétendue hiérarchie de races (mais aussi de classe ou de sexe, comparant les cerveaux des Blancs et ceux des Noirs, ceux des ouvriers et ceux des patrons, et enfin ceux des hommes et ceux des femmes – cette dernière comparaison étant la seule qui soit toujours d’actualité sans que cela ne heurte plus que ça les consciences).

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Exposition de Nantes. Village noir. Prière à la mosquée, carte postale de 1904.

Une pensée au service du racisme ?

Bien avant la grande entreprise de déshumanisation que furent les zoos humains, les Européens, par l’intermédiaire de souverains et de papes, avaient préparé la légitimation de l’esclavage des Indiens d’Amérique après la « découverte du Nouveau Monde », au cours des débats connus sous le nom de « controverse de Valladolid » : les Indiens ont-ils une âme ou peut-on exploiter à loisir ces inférieurs ? Les enjeux sont énormes [5].

Rappelons-nous que l’humanité a ainsi été accordée par les Européens aux Indiens... et refusée aux Noirs. Ce qui « autorise » l’esclavage. Des Noirs, nous dit l’historien Pascal Blanchard [6], qu’on a voulus montrer comme des fainéants, histoire de justifier l’esclavage : il fallait « les mettre au travail », sans quoi ils n’auraient jamais rien fait. (Ce qui explique la contradiction des propos nauséabonds du parfumeur français Jean-Paul Guerlain, entendus en 2010 sur une chaîne nationale : « Pour une fois je me suis mis à travailler comme un nègre. Je ne sais pas si les nègres sont tellement toujours travaillé, mais enfin… »)

Les stéréotypes racistes ont ainsi été construits par les Européens au service de leurs intérêts.

L’Europe n’a pas seulement créé les conditions matérielles de la déshumanisation de personnes venues d’ailleurs. Elle s’est constitué tout un arsenal juridique (le Code noir [7], dont l’article 44 déclare que les Noirs sont des biens meubles), et philosophique. À l'époque, la pensée raciste se caractérisait surtout... par sa banalité.

Malheureusement, certains s’en inspirent encore aujourd’hui sans aucune vergogne (voir le texte [8] dont certains passages inspirèrent Henri Guaino, auteur du discours de Dakar prononcé par Nicolas Sarkozy en 2007 [9]. Henri Guaino qui s'en est défendu par la suite en se réclamant – c'est un comble , d'Aimé Césaire [10])Après tout, ces éminents penseurs figurent toujours en bonne place dans les manuels de philosophie sans qu’on les y malmène trop, ni qu’on les fasse voisiner avec d’autres philosophes ayant fait preuve d’un sens autrement plus aigu de l’égalitarisme.

Hegel

Il était rare de ne pas partager les convictions racistes de son temps au XIXe siècle, et Friedrich Hegel est un représentant de cette pensée :

« Ce continent [l’Afrique] n’est pas intéressant du point de vue de sa propre histoire, mais par le fait que nous voyons l’homme dans un état de barbarie et de sauvagerie qui l’empêche encore de faire partie intégrante de la civilisation. L’Afrique, aussi loin que remonte l’histoire, est restée fermée, sans lien avec le reste du monde ; c’est le pays de l’or, replié sur lui-même, le pays de l’enfance qui, au-delà du jour de l’histoire consciente, est enveloppé dans la couleur noire de la nuit.

[...] L’esclavage ne doit pas exister, car il est en soi et pour soi injuste selon le concept de la chose. Mais le « doit » exprime quelque chose de subjectif, il est, comme tel, non historique. [...] On ne peut prétendre de façon absolue que l’homme, par le seul fait qu’il est un homme, soit considéré comme essentiellement libre. Il n’en était rien chez les Grecs et les Romains eux-mêmes. L’Athénien n’était libre qu’en tant que citoyen d’Athènes et ainsi de suite. Notre idée générale, c’est que l’homme est libre en tant qu’homme ; mais autrement il n’a de valeur que sous quelque aspect particulier : époux, parents, voisins, concitoyens, n’ont de valeur que l’un pour l’autre. Chez les nègres, cela ne se produit qu’à un faible degré. Les sentiments éthiques, entre eux, sont d’une extrême faiblesse, ou, pour mieux dire, n’existent pas du tout. Le premier rapport éthique, celui de la famille, est absolument indifférent aux nègres. Les hommes vendent leurs femmes, les parents vendent leurs enfants, et inversement, selon le rapport réciproque de puissance qui existe dans chaque cas. » 

On voit comment Hegel doit également passer par la déshumanisation pour justifier un esclavage dont il commence par dire qu’il ne doit pas exister. 

Olympe de Gouges

À l’inverse, rendons hommage à Olympe de Gouges, qui ne s’est pas seulement battue pour les droits des femmes [11], mais aussi contre l’esclavage, après un certain chemin et en charriant bien entendu elle aussi son lot de préjugés [12], en écrivant en 1788 Réflexion sur les hommes nègres, quand le Code noir est toujours en vigueur : « [...] en avançant en âge, je vis clairement que c'était la force et le préjugé qui les avaient condamnés à cet horrible esclavage, que la Nature n'y avait aucune part, et que l'injuste et puissant intérêt des Blancs avait tout fait. »

Rendons hommage à Olympe de Gouges, et non aux révolutionnaires français de 1789, car ce ne sont pas eux qui se sont battus ni pour les droits des femmes – la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 les exclut – ni pour ceux des Noirs, qu’ils ont laissés sans statut et sans droits en 1794, date de la première abolition de l'esclavage.

Rappelons qu’Olympe de Gouges fut condamnée à la guillotine par le tribunal révolutionnaire pour ses écrits politiques, dont un manifeste considéré comme « attentatoire à la souveraineté nationale » [13]. Et qu’elle est loin de figurer à la place qui devrait être la sienne dans la plupart des manuels d’histoire, l’histoire étant écrite par les vainqueurs.

Jules Ferry

Notre grand Jules Ferry, loué pour avoir institué en tant que président du Conseil la gratuité de l’enseignement primaire et l’ouverture de l’enseignement secondaire aux filles en 1881 et, en tant que ministre de l’Instruction, l’instruction laïque et obligatoire en 1882, fut aussi ministre français des Affaires étrangères.

C’est dans l’exercice de cette fonction qu’il déclare devant l’Assemblée nationale le 28 juillet 1885 [14], 60 ans après le texte de Hegel : « Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures [...] parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont un devoir de civiliser les races inférieures. [...]

Ces devoirs, messieurs, ont souvent été méconnus dans l’histoire des siècles précédents, et certainement, quand les soldats et les explorateurs espagnols introduisaient l’esclavage dans l’Amérique centrale, ils n’accomplissaient pas leur devoir d’hommes de race supérieure. Mais de nos jours, je soutiens que les nations européennes s’acquittent avec largeur, grandeur et honnêteté, de ce devoir supérieur de la civilisation. [...] »

[...] Est-ce que vous pouvez nier, est-ce que quelqu'un peut nier qu'il y a plus de justice, plus d'ordre matériel et moral, plus d'équité, plus de vertus sociales dans l'Afrique du Nord depuis que la France a fait sa conquête ?

Est-ce qu'il est possible de nier que ce soit une bonne fortune pour ces malheureuses populations de l'Afrique équatoriale de tomber sous le protectorat de la nation française ou de la nation anglaise ? »

Vision que ne partageaient pas tous les députés présents, et à laquelle semblait souscrire Nicolas Sarkozy, bien qu’en des termes plus contemporains, dans son discours de Toulon du 7 février 2007 [15], qui s’élevait contre « la mode si détestable de la repentance » (à 14’), poursuivant ainsi (à 16’) : « [le rêve européen] ne fut pas tant un rêve de conquête qu'un rêve de civilisation. Cessons de noircir le passé de la France. [...] Beaucoup de crimes et d’injustices furent commis. Mais la plupart de ceux qui partirent vers le Sud n’étaient ni des monstres, ni des exploiteurs. [...] Il ne faut pas confondre le système et les hommes. Il faut respecter les hommes et les femmes de bonne foi qui pensaient œuvrer utilement pour un idéal de civilisation auquel ils croyaient [...] sans jamais exploiter personne. [...] Alors je veux le dire à tous les adeptes de la repentance qui refont l’histoire et qui jugent les hommes d’hier sans se soucier des conditions dans lesquelles ils vivaient ni de ce qu’ils éprouvaient [...] Je veux leur dire : de quel droit demandez-vous aux fils de se repentir des fautes de leurs pères, que souvent leurs pères n’ont commises que dans l’imagination des professionnels de la repentance ? »

À lui qui dans ce même discours affirmait : « quand on ne sait pas d’où l’on vient, on ne sait pas qui l’on est », et à tous les autres, rappelons les zoos humains et tous les discours qui les ont précédés, et laissons entendre les mots d’Aimé Césaire.

Aimé Césaire

Devoir de civilisation ? Aimé Césaire répond dans Discours sur le colonialisme (1950 [16]) :

« [...] le geste décisif est ici de l'aventurier et du pirate, de l'épicier en grand et de l'armateur, du chercheur d'or et du marchand, de l'appétit et de la force

[...]

Entre colonisateur et colonisé, il n'y a de place que pour la corvée, l'intimidation, la pression, la police, l'impôt, le vol, le viol, les cultures obligatoires, le mépris, la méfiance, la morgue, la suffisance, la muflerie, des élites décérébrées, des masses avilies. Aucun contact humain, mais des rapports de domination et de soumission qui transforment l'homme colonisateur en pion, en adjudant, en garde-chiourme, en chicote et l'homme indigène en instrument de production. À mon tour de poser une équation : colonisation = chosification. J'entends la tempête. On me parle de progrès, de « réalisations », de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d'eux-mêmes. Moi, je parle de sociétés vidées d'elles-mêmes, de cultures piétinées, d'institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d'extraordinaires possibilités supprimées. On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, de canaux, de chemins de fer. Moi, je parle de milliers d'hommes sacrifiés au Congo-Océan. Je parle de ceux qui, à l'heure où j'écris, sont en train de creuser à la main le port d'Abidjan. Je parle de millions d'hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la danse et à la sagesse.

[...]

Colonisation et civilisation ? La malédiction la plus commune en cette matière est d’être la dupe de bonne foi d’une hypocrisie collective, habile à mal poser les problèmes pour mieux légitimer les odieuses solutions qu’on leur apporte. [...] je dis que de la colonisation à la civilisation, la distance est infinie ; que, de toutes les expéditions coloniales accumulées, de tous les statuts coloniaux élaborés, de toutes les circulaires ministérielles expédiées, on ne saurait réussir une seule valeur humaine. Il faudrait d’abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral [...] »

Le racisme dans la culture populaire

Avec les zoos humains, le racisme scientifique a laissé place à un racisme populaire. Et le pouvoir colonial eut beau interdire les zoos humains dans les années 1920 – car le temps était venu de donner des preuves de cette civilisation que l’homme blanc était censé avoir apportée aux indigènes –, les zoos humains avaient joué leur rôle de construction, très efficace, du regard raciste.

Ces exhibitions ont été la seule rencontre avec l’« autre » pour la grande majorité des Européens. Peu importait alors le discours officiel désireux après un temps de remplacer les stéréotypes humiliants pour des images d’indigènes civilisés – c’est-à-dire en réalité acculturés : le public en redemandait.

Et la chanson populaire, comme le théâtre, la photographie, la bande dessinée (Tintin, Tarzan) et le cinéma (Tarzan de nouveau) se sont chargés de prendre le relais pour donner à ce regard colonial, empreint de l’idée de hiérarchie, de nouveaux espaces dans lesquels exister.

La vidéo de LAN nous prouve non seulement que ce regard n’a toujours pas disparu, mais que ces représentations peuvent ne pas choquer aujourd’hui, au point de les retrouver dans la communication de ceux dont l'activité consiste à relier les pays et les continents entre eux.


Références
 
– Christian BÁEZ y Peter MASON, Zoológicos humanos. Fotografías de fueguinos y mapuche en el Jardin d'Acclimatation de París, siglo XIX, Santiago (Chilie) : Pehuén, 2006.
– La Patogallina, Extranjero. El último Hain, 2011.
– Pascal BLANCHARD et Éric DEROO, Zoos humains, 2002, 52 mn. 
– Nicolas BANCEL, Gilles BOËTSCH, Éric DEROO, Sandrine LEMAIRE et Pascal BLANCHARD, Zoos humains. Au temps des exhibitions humaines, Paris : La Découverte, 2004, 490 p. 
– Le site Déshumanisation. Quand l'homme finit en cage ! aborde le phénomène des zoos humains, les stéréotypes qu'ils a générés, et leur actualité.
– Chronologie de l'esclavage sur le site de France TV Éducation.
Notes
 

[2] Les Niam-Niams qui, « si l’on compare avec les autres êtres imaginaires qui ont pris naissance dans cette région de l’Afrique centrale, [...] plus que d’autres, figurent la méchanceté », écrit Jean Dominique Penel dans Homo Caudatus. Les hommes à queue d’Afrique centrale : un avatar de l’imaginaire occidental, Paris : Selaf, 1982 (p. 139).

[3] Cela n’empêche pas qu’il y ait eu des discours, et il y ait eu des études dites scientifiques, le XIXe siècle ayant été celui de la craniométrie, dont le grand représentant en France fut le magnifiquement misogyne Paul Broca. Et – comme c’est étrange – les conclusions justifiaient toujours les hiérarchies de race, de classe et de sexe existantes. Qu’ils soient Noirs, femmes ou ouvriers, les dominés étaient à leur place en bas de l’échelle à laquelle on les mesurait. Voir la présentation de La mal-mesure de l’homme de Stephen Jay Gould (éd. Odile Jacob, 1997) sur le site Hominides.

[4] Pour une analyse très éclairante des enjeux de ce concept et du fonctionnement des dominations, lire le recueil d’articles de Christine Delphy, Classer, dominer. Qui sont les autres ?, ainsi que « La construction de l’autre », retranscription, sur le site Les mots sont importants, d’un entretien avec Christine Delphy, réalisé par Daniel Bertaux, Catherine Delcroix et Roland Pfefferkorn publié dans la revue Migrations et sociétés (janvier-février 2011).

[5] Michel FABRE, « La controverse de Valladolid ou la problématique de l'altérité », Le Télémaque 1/2006 (n° 29), p. 7-16, consultable en ligne sur le site du Cairn.

[6] Emission « Les tabous du racisme », extrait de 16 mn consacré à l'histoire et à la théorisation du racisme, ainsi qu'aux zoos humains, diffusé le 31 octobre 2007 sur France 2.  

[7] Le code noir de 1724 est la seconde version, promulguée par Louis XV, du texte originellement établi par Colbert et promulgué par Louis XIV en 1685 : Code noir ou recueil d’édits, déclaration et arrêts concernant la discipline et le commerce des esclaves nègres des îles françaises de l’AmériqueVoir art. 44 p. 95.

[8] Friedriech HEGEL, extrait de La Raison dans l'histoire. Introduction à la philosophie de l'histoire, 1822-1830, publié sur le site du Monde diplomatique.

[9] Retranscription du discours de Dakar du 26 juillet 2007 de Nicolas Sarkozy, alors président de la République française, sur le site Afrik.com.

[10] Henri Guaino : « C'est très intéressant, le discours de Dakar, quand on critique des phrases qui sont tirées presque mot pour mot d'Aimé Césaire, y a quelque chose de risible, pardon », extrait du Grand Journasur Canal Plus, le 7 novembre 2011.

[11] Olympe DE GOUGES, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, 1791.

[12] Le code noir de 1724 est la seconde version, promulguée par Louis XV, du texte originellement établi par Colbert et promulgué par Louis XIV en 1685 : Code noir ou recueil d’édits, déclaration et arrêts concernant la discipline et le commerce des esclaves nègres des îles françaises de l’Amérique.

[13] Olivier BLANC, « Olympe de Gouges, une femme du XXIe siècle. "Celle qui voulut politiquer" »Le Monde diplomatique, novembre 2008.

[14] Procès de Marie-Olympe de Gouges devant le tribunal révolutionnaire sur el site le droit criminel, de Jean-Paul Doucet.

[15] Voir la préface de la pièce qu’elle fit monter à la Comédie française en 1789, L’Esclavage des Noirs ou l’heureux naufrage.

[16] Intervention de Jules Ferry devant l’Assemblée nationale le 28 juillet 1885, site de l'Assemblée nationale française. On peut y voir les propos dans leur contexte et les interventions et protestations d’autres députés.

[17] Enregistrement vidéo du Discours de Toulon du 7 février 2007 de Nicolas Sarkozy, trois mois avant d'être élu président de la République française, sur le site de l'UMP. 

[18] Aimé CÉSAIRE, Discours sur le colonialisme [1950], Paris : Présence Africaine, 1995, p. 8-9 et éd. de 1989, p. 11-12.

2 juin 2013

LAN ou le racisme qui s’ignore

colon-noir

Mise à jour : la vidéo dont il est question ici est indisponible au 13 juin 2013.
Cet article est également paru sur mon blog Mediapart.

Il est très peu probable, malgré les discriminations dont les peuples originaires du Chili sont victimes, que la plus grande compagnie aérienne du Chili, LAN, aurait trouvé drôle de caricaturer un Indien en l’affublant des pires attributs par lesquels les fantasmes de colons ont pu le caractériser (pour ne pas dire le déposséder de sa nature humaine) pour le faire apparaître à l’intérieur d’un tutoriel à destination des voyageurs cherchant à utiliser les points accumulés au cours de leurs voyages en avion pour payer un trajet.

Sans doute que, quand bien même l’idée eût été proposée par un-e communicant-e, elle aurait été rejetée par un-e de ses collaborateurs ou responsables bien avant qu’il soit même envisagé de réaliser le projet tel quel.

Mais prenons un Noir (un autre autre que l’Indien, un autre encore plus autre, rarement croisé au Chili), et les manifestations les plus extrêmes de déshumanisation sont à l’œuvre sans l’ombre d’une prise de conscience de la domination qui s’exerce.

Pour ceux qui ne parlent pas espagnol et avec l’espoir que la vidéo dont il est question ici, « ¡Canjear tus KMS. LANPASS es muy simple! » soit rapidement retirée de leur site Internet et de YouTube (on peut toujours rêver), voilà de quoi il s’agit (la vidéo dure 3’16’’). 

Précisons avant toute chose que LAN a choisi pour sa communication de mettre en scène des doigts. Des doigts avec des yeux, une bouche et des vêtements. Des doigts blancs puisqu’au Chili, la peau « rouge » n’est pas franchement représentée, et la peau « noire » carrément inexistante. Sauf dans cette vidéo.

1. La vidéo 

Première image, apparaît le doigt/personnage blanc, chargé de nous expliquer comment utiliser nos kilomètres LAN. Choix pour le moins curieux et qui crée forcément une attente chez le spectateur : il est doté d’un chapeau qu’on pourrait assimiler à celui que portaient les colons européens en Afrique.

On comprend mal quel peut être l’intérêt (qui plus est pour expliquer à ses clients comment régler leur billet d’avion) pour une compagnie aérienne d’utiliser ce symbole de l’oppression blanche. Certes il renvoie à celle des Européens en Afrique, mais ceux-ci n’ont pas été en reste en Amérique du Sud. Les Mapuches en paient encore les conséquences aujourd’hui (l'État chilien est d'ailleurs passé le 29 mai dernier devant la cour interaméricaine des droits de l'homme pour utilisation abusive de la loi antiterroriste et pour discrimination à l'égard de Mapuches [1]).

 deux-doigts

Arrive un autre doigt, noir. (Le chapeau dit donc à la fois : « Il s’agit d’un colon », mais « Ce n’est pas nous »). Réaction du doigt chapeauté :

—  Ha ha, qu’est-ce que t’es bronzé ! Tu reviens des Caraïbes ?

Supposition du doigt blanc : « Tu es des miens [car le Blanc est à la couleur de peau ce que l’homme est au sexe : l’universel, le neutre, la référence par défaut – du moins est-ce ainsi que les dominants ont construit nos représentations [2], d'ailleurs il semblerait au passage que nous ayons affaire à deux hommes...]. Donc, pour avoir ce teint bronzé, tu es parti te dorer la pilule au soleil. »

— ...

Notons que son « interlocuteur » n’a toujours pas prononcé un mot – cela dit, contrairement au doigt chapeauté, il n’a pas de bouche. Ceci doit expliquer cela. Pas d’yeux non plus. Dépourvu de la faculté de parler et de fenêtres de l’âme, il n’est pas vraiment humain, finalement.

—  Non ?

Erreur, le doigt chapeauté l’entend : le doigt sans bouche doit donc se faire comprendre d’une manière qui échappe à l’internaute.

—  Ah, désolé !

Roulement d’yeux difficilement interprétable – on sent bien qu’on n’est pas tout à fait sur la même longueur d’ondes que les communicants de LAN. Est-ce un « Bon sang mais c’est bien sûr, que je suis bête ? », un « Mon Dieu mais que fait-il là ? », accompagné d’un « Il va falloir tout lui expliquer » ?

—  Alors, tu devrais aller aux Caraïbes !

Euh, pourquoi ? C’est un endroit fabuleux ? (version optimiste) Tu serais mieux là-bas ? (version inquiète, il est vrai que le soleil est particulièrement dangereux au Chili) Chacun chez soi ? (version pessimiste) Là-bas ils sont comme toi ? (version raciste qui s’ignore et se cache derrière l’apparente neutralité de sa constatation [3]).

— ...

—  Quoi ?

L’autre n’a toujours pas émis un son mais manifestement, en tendant l’oreille, notre professeur le colon peut l’entendre.

—  Tu n’as pas d’argent !

Ah, et de toutes les situations dans lesquelles LAN aurait pu mettre en scène un Noir, il fallait que ce soit celle-là. Eh oui, le Noir n’a pas d’argent (il faut dire que les Blancs ont tout fait pour – un exemple parmi d'autres : l’histoire d’Haïti, sommé de payer un dédommagement aux colons, en l’occurrence la France, pour son indépendance pourtant gagnée au prix de nombreuses vies. Dédommagement qui l'a laissé exsangue [4]).

Heureusement, rassurez-vous, il s’avère que le doigt noir a voyagé en avion par le passé, et donc cumulé des kilomètres à convertir : il fait oui de la tête – car il peut communiquer, même si c’est sans le secours d’un langage articulé. Il va pouvoir acheter son billet, voyons donc comment (un long blabla s’ensuit). 

Une fois l’orateur arrivé au bout de son explication, pouf ! Le doigt noir se transforme en... cannibale. Enfin, en cannibale, c’est-à-dire en la représentation du cannibale que l’Occident s’est construite et a diffusée à foison : un Noir dont la chevelure crépue renferme un os (il est vrai qu’il y eut du cannibalisme dans les Caraïbes. Mais chez les Indiens d’Amérique aussi. Et en Polynésie. Et en Europe. [5] Mais oublions tout ça et simplifions, sinon on ne va pas rigoler beaucoup : les Noirs ont donc toujours le monopole du cannibalisme). Il présente également des peintures sur le visage et un collier qui fait du bruit (à 1'50'').

Réaction faussement enthousiaste de notre colon pédagogue que voilà tout tremblotant, craignant déjà pour sa vie :

— Ça y est, tu es un superdoigt !

Oui, parce qu’un client est un doigt, et quand il achète un voyage avec des kilomètres LAN, il se convertit en superdoigt – un doigt avec une bouche et des yeux –, le doigt au chapeau étant à ce titre déjà un superdoigt.

os

—  Maintenant que j’ai une bouche, j’ai une question à vous poser.

Le doigt noir a parlé ! C’était donc bien le manque de bouche qui l’empêchait de parler. L’achat d’un billet l’aurait-il rendu plus humain ? Oui et non, puisque ses yeux roulent dans tous les sens et qu’il laisse échapper des sons caractéristiques de sa nature primitive et sauvage : ses propos sont entrecoupés de « hé, hé » très aspirés et très bas. Et il parle en rimes (du moins dans la version originale). Sans doute une manifestation du légendaire sens de la musique et du chant de sa « race ».

Notons également que le doigt noir vouvoie le doigt blanc, tandis que celui-ci le tutoie. Le tutoiement est chose courante au Chili. En revanche, il n'y a pas de raison que le tutoiement non réciproque ne relève pas de rapports inégaux, comme c'est le c'est le cas en France.

—  Vous auriez une serviette de table, par là ? Hi hi, houga houga.

Oui, « houga, houga ». C’est un cannibale, on vous dit. Étrange mélange : il ne se contrôle déjà plus, et pourtant il prend le temps de demander poliment un objet qu’on aurait eu tendance, au vu les stéréotypes utilisés, à attribuer au colon.

—  Une serviette de table ? Euh, non...

Le pauvre doigt blanc n’en mène pas large, son enthousiasme de départ aurait-il été forcé ? Ce n’est pourtant pas faute d’avoir voulu civiliser l’autre à coup de tutoriel. Mais l’autre, malin et demi, a feint la civilité (tandis qu’à l’inverse, les exhibés des zoos humains ont feint la sauvagerie pour répondre aux attentes de l’Occident [6]) pour assouvir ses bas instincts, qui sont toujours son essence même [7].

Toujours est-il qu’à présent le doigt blanc serre les dents en espérant éviter le pire. Il a bien compris à qui il avait affaire. Il a lu Tintin au Congo du Belge Hergé et Tarzan de l'Américain Edgar Rice Burroughs.

— Je peux vous demander autre chose, hi hi !

(Il s'exprime avec un vocabulaire tout chilien, le barbare, puisqu’il veut « hacer otra preguntita ».) Pas contrariant, le steak en puissance lui répond :

— Oui.

— Je reçois un ticket pour justifier de mon achat ?

Ma parole, voilà le fourbe en train d’essayer à nouveau de se faire passer pour civilisé. Soulagement du doigt blanc, ravi d’en revenir aux questions de départ (oui, pourquoi les a-t-on quittées, d’ailleurs ?) et de se voir s’offrir un divertissement, qui lui explique la chose avec une décontraction qui ne laisse aucunement deviner par quelles affres il vient de passer.

Évidemment, le cannibale fomente quelque chose : on voit bien qu’il a les yeux qui plissent. Il fait semblant d’écouter puis se retire sournoisement, tandis que l’autre poursuit naïvement son exposé. Hors champ, on entend les mêmes sons qu’il ne pouvait s’empêcher d’émettre en parlant.

Du strict point de vue de la communication, on comprend mal comment le client de LAN peut ne pas être diverti de l'information qu'il recherche par une intrigue pour le moins troublante et sans aucun rapport avec le sujet.

Le doigt colon ne paraît pas troublé par le retour du doigt cannibale, qui s’est noué une serviette de table autour du cou. (Il ne comprend rien ou quoi ? La couleur de la peau, l’os, la serviette ! Tout y est ! Il ne s’intéresse pas à tes histoires de billets d’avion !) Le cannibale repart en émettant toujours ses expirations inarticulées, et revient, l’air mauvais, armé... d’une fourchette et d’un couteau (ben oui, ça a beau être un cannibale, il a décidément un étonnant côté « civilisé »), dirigés vers sa future pitance :

— Bon, et c’est tout ?

cannibale

— Oui, mon ami !

Ah ça y est, le doigt blanc a re-compris, les tremblements reprennent de plus belle. Malinou, l’asticot, il donne au doigt cannibale la bonne idée de se payer un restaurant avec l’argent économisé grâce à l’opération qui devrait nous occuper dans ce qui, rappelons-le, est un tutoriel destiné à acheter des billets avec sa fidélité de voyageur.

— Non, je préfère prendre à emporter pour le voyage. Hou, hou, hou, hounga, houga !

C’est qu’il a jusqu’au sens de l’humour, le cannibale, sous ses dehors primitifs ! Le côté clown bon enfant du Nègre, sans doute [8]. 

Slogan final : « Il n’y a que sur lan.com que ton doigt se convertit en superdoigt. »

Il n’y a que sur lan.com qu’un banal tutoriel se convertit en une magistrale manifestation de racisme.

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La vidéo telle qu'elle apparaît sur le site de LAN

Quelle est l’intention des communicants de LAN ? C’est bien difficile à dire, tant la vidéo est absurde. Sûrement de faire de l’humour à peu de frais, en faisant – comme c’est original, comme c’est civilisé –, du Noir un cannibale. Certes, le rôle de colon n’est pas des plus faciles à porter, lui aussi étant un sacré barbare, mais un barbare qui s’ignore. Eh oui. Et c’est drôlement confortable, d’ignorer son caractère barbare, son racisme. 

Au cas où l’un-e des communicant-e-s de LAN, convaincu-e que ceci n’est pas une vidéo raciste, qu'on est trop civilisé pour ça, chez LAN, qu'on joue juste le jeu de l’humour sur fond de stéréotypes, lise ces mots et soit prêt-e à entendre un autre point de vue sur le sujet, je ne manquerai pas de lui donner quelques pistes de réflexion dans des articles à venir.


Références

[1] Véronique GAYMARD, « L’État chilien devant la justice pour violations des droits des Mapuches », RFI, 29 mai 2013, consulté le 2 juin 2013. La résolution de la cour interaméticaine des droits de l'homme à ce sujet est disponible en ligne sur son site.

[2] Voir le texte de l'Américaine Peggy McIntosh sur le privilège blanc et le privilège masculin : « White Privilege: Unpacking the Invisible Backpack », traduit et présenté par Colette Charlier en français sur le site de l'association Mille Bâbords, consultés le 2 juin 2013.

[3] Voir « La construction de l'autre », entretien de Daniel Bertaux, Catherine Delcroix et Roland Pfefferkorn avec la sociologue et philosophe Christine Delphy, publié dans Migrations et sociétés en janvier-février 2011 et disponible sur l'excellent site Les mots sont importants, consulté le 2 juin 2013.

[4] Louis-Philippe DALEMBERT, « Haïti, la dette originelle », Libération, 25 mars 2010, consulté le 2 juin 2013.

[5] ZAF, « L'anthropophagie au Paléolithique. Cannibalisme dans la Préhistoire », Hominides.com, site français alimenté entre autres auteurs par des chercheurs du CNRS et du Musée national d'histoire naturelle, consulté le 2 juin 2013.

[6] « L'envers du décor », site Deshumanisation.com, consulté le 2 juin 2013.

[7] « Nègre sauvage », site Deshumanisation.com, consulté le 2 juin 2013.

[8] « Nègre-clown », site Deshumanisation.com, consulté le 2 juin 2013.

24 mai 2013

L'énigme du généraliste

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Parmi les énigmes chiliennes longtemps irrésolues figurait en bonne place celle du généraliste qui n’en était pas un.

À cette époque où une connaissance minimale de l'espagnol se liguait avec une ignorance crasse des particularités chiliennes, on prenait rendez-vous chez un généraliste, pour la première fois et sur recommandation d'un ami qui n'avait eu d'autre choix que de jouer les cobayes, habituellement pour la bonne bronchite hivernale traditionnelle de Concepción. L’infection des voies respiratoires y est en effet un baptême difficilement évitable – on y sera peut-être aidé-e-s par l’interdiction de fumer dans les lieux publics qui a pris effet le 1er mars 2013. Mais Conce reste Conce, avec un taux d’humidité qui crève les plafonds.

Déjà, avant d'entrer, le doute s'installait : on avait pris rendez-vous dans ce qui s'avérait être un « centre médical esthétique et dentaire »... Dans quelle galère s'était-on fourré-e ? Une fois qu’on se retrouvait devant la porte de son cabinet, subissant comme tous les autres patients le bruit de la télévision, symbole indépassable de développement (mais ne nous égarons pas), ce généraliste se transformait subitement en chirurgien (médico cirujano et non médico general), du moins d’après la plaque portant son nom sur la porte.

Brève panique du Français qui débarquait (enfin, qui durait le temps de l’attente, interminablement, donc, comme toujours chez le médecin), vérification du nom du ou de la médecin. « On me l’avait pourtant bien présenté-e comme un-e généraliste... Depuis quand les chirurgien-ne-s proposent des consultations dans des cabinets de généralistes ? J’aurais pu m’épargner le coût d’une consultation de spécialiste ! Mais est-ce qu’il ou elle s’y connaît seulement en bronchite ? Et s’il ou elle avait la tentation toute chirurgienne de m’ouvrir pour me soigner ? » Etc.

On aurait pu s’épargner pas mal de questionnements si l’on avait su le fin mot de l’histoire, découvert trois ans plus tard grâce aux explications d’une amie médecin chilienne.

Le Chili est un pays d’une longueur hallucinante (4 200 km), et la population s’y répartit de manière très inégale (voir carte). Elle est concentrée en majeure partie dans la région métropolitaine, autour de Santiago, au centre du pays, depuis en gros Valparaíso jusqu’à Puerto Montt, tandis que le désert de l’Atacama au nord et Patagonie au sud présentent une densité de population très faible (moins de 5 habitants au kilomètre carré).

Résultat, la présence médicale ne permet pas toujours de répondre aux urgences. Quelques statistiques de l’OMS de 2012 permettent de voir le contexte, même si « médecins » n’est pas « chirurgiens » ni « installations hospitalières » : il y a au Chili 10,3 médecins pour 10 000 habitants, à comparer à 32,2 en Argentine, 17,6 au Brésil et 34,5 en France (Cuba explose tous les scores avec 67,2 médecins pour 10 000 habitants).

Si j’ai bien compris, pour faire face aux urgences médicales qui exigent une intervention chirurgicale rapide pour peu qu’elle ne soit pas très pointue, les généralistes sont tous formés à la chirurgie. Dans les zones les moins peuplées, leur formation leur permet de pratiquer par exemple une appendicectomie si le patient ne peut accéder rapidement à une structure hospitalière. Il semble donc que cette apparente absurdité soit en réalité le fruit d’une décision fort pragmatique et rationnelle.

Conclusion : si vous vous retrouvez dans le cabinet (dentaire) d’un chirurgien pour un bête rhume, entrez en paix, vous êtes bien entre les mains d’un généraliste qui ne devrait (a priori) pas dégainer son bistouri.

Dédicace spéciale à L., que je remercie pour ce rassurant éclaircissement.


Références

– INSTITUT GÉOGRAPHIQUE MILITAIRE DU CHILI ET EDUCARCHILE, carte de la densité de population au Chili (en espagnol).

– ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTÉ, Statistiques sanitaires mondiales 2012 (données absentes pour la densité médicale de l’Argentine), p. 122 (en français).

– UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE (Canada), statistiques de densité médicale en Amérique du Sud (dont l’Argentine) en 2011, site Perspectives Monde (en français).

19 mai 2013

Lundi, c'est sandwich

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Mardi, c'est « Día de las glorias navales », appellation un tantinet antinomique, dans la mesure où le Chili commémore... une victoire péruvienne.

En effet, la bataille d'Iquique, livrée le 21 mai 1879 lors de la guerre du Pacifique qui opposait les Chiliens aux Péruviens et aux Boliviens, a provoqué la mort d'Arturo Prat, commandant de la corvette (le bateau de guerre, quoi) l'Esmeralda, coulé face au légendaire cuirassé Huáscar, dirigé par le Péruvien Miguel Grau Seminario.

Sachez qu'il était possible de visiter le Huáscar, avant le grand séisme de février 2010, dans la base navale de Talcahuano, juste à côté de Concepción. Peut-être l'est-il à nouveau, trois ans après ? Quant à l'Esmaralda, sa réplique est visitable à Iquique.

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La réplique du navire de guerre Esmeralda à Iquique, 2012.

S'il on en croit l'éphéméride, la gloire est dans la bataille, et l'histoire dans l'affrontement et les événements brutaux de ce monde. À moins que tout ne soit bon à prendre pour créer un jour férié – mais ça ne sonne pas très chilien (ils ont le patriotisme dans la peau), même s'ils sont amateurs de ce type de coupure.

Bref, aujourd'hui c'est dimanche, mardi c'est férié, donc lundi... c'est sandwich ! Pris entre deux jours non travaillés, le lundi, coincé, donnera lieu pour certains à ce que nous autres Français appelont un pont. (Et nous qui nous croyions obsédés par la nourriture.) Malheureusement, ce lundi 20 mai ne sera pas un sandwich légal. La plupart travailleront donc.

En revanche, ils pourront compter sur le « sandwich dieciochero », à l'occasion des fiestas patrias des 18 et 19 septembre : le vendredi 20 ne sera pas travaillé. Les fêtes de la patrie, c'est sacré (voir Pendant ce temps-là, chez les Mapuches). Et c'est obligatoire.


Référence

FAQ sur les jours fériés chiliens, consulté le 19 mai 2013 (en espagnol).

– Pour en savoir plus sur les différents types de jours fériés : feriados legales, consulté le 19 mai 2013 (en espagnol).

– Marine de guerre du Pérou, Miguel Grau Seminario, consulté le 19 mai 2013 (en espagnol).

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1 mai 2013

La contadora de películas

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On imagine bien María Margarita, 11 ans, serrant ses précieux 50 pesos dans ses poings, parcourir les rues poussiéreuses d’une oficina salitrera (exploitation de nitrate) comme Humberstone pour assister à une séance de cinéma, luxe jubilatoire dans le paysage désertique de la pampa chilienne. 

S’imprégnant de la musique, des attitudes, des expressions des acteurs, elle devient celle par laquelle, toutes les intrigues, toutes les chansons, tous les personnages reprennent vie après la séance : c’est une conteuse de films hors pair. À tel point que ce qui n’était qu’un pis-aller pour ses quatre frères et leur père resté handicapé et immobilisé par un accident de travail devient un spectacle régulier, bientôt plus prisé que les projections elles-mêmes. 

Mais la nostalgie sépia de la grande époque des villes du nitrate n'éclipse pas la dure réalité de la condition ouvrière et féminine indissociable de ce milieu et de ce temps. 

Hernán Rivera Letelier, écrivain chilien, est connu pour donner pour décor à ses livres le milieu des mines de salpêtre. Des villes entières, bâties au milieu de nulle part, ont logé les chefs, employés et ouvriers chargés de l’exploitation, et fait la richesse du Nord du Chili avant leur fermeture dans les années 1960, quand l’engrais fabriqué avec le nitrate a été supplanté par les engrais chimiques. 

Jamais Humberstone n’est citée dans ce court roman, mais la ville fantôme, ouverte aux visiteurs (voir article Humberstone, une ville fantôme dans le désert) est emblématique de la vie de l’époque, avec sa pulpería (épicerie), son théâtre où le cinéma fit son apparition et son organisation, miroir de la hiérarchie inhérente aux oficinas.

C’est à Algorta que Hernán Rivera Letelier a vécu les 11 premières années de sa vie, qui ressemble par bien des côtés à celle de María Margarita. Resté seul à Antofagasta après la fermeture de la mine, il vécut en vendant des journaux et profitait du jour de leur impression hebdomadaire pour voir trois fois les trois films à l’affiche, lui qui n’avait jamais connu les plaisirs de la salle obscure dans l’oficina salitrera...


Références

– Hernán RIVERA LETELIER, La contadora de películas, Santiago du Chili : Aguilar Chilena de Ediciones, coll. « Punto de lectura », 2011 [2009], 125 p.
– Hernán RIVERA LETELIER, La raconteuse d’histoires, Paris : éd. Métailié, coll. « Suites : suite hispano-américaine », 2012, 128 p. (référence BNF). 
– María IGNACIA RODRÍGUEZ, « Hernán Rivera Letelier: “Este mundo es una gran humorada” », Letras.s5.com, consulté le 1er mai 2013 (en espagnol).

 

16 avril 2013

Une journée chez les Pehuenches

 

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Parc Conguillío, en Araucanie

En Araucanie, au sud de Concepción (le pays Mapuche pour les intimes), le parc Conguillío est un de ces paysages dont le Chili a le secret. Sa beauté se livre sans intermédiaire au visiteur : coulées de lave figées, troncs d’arbres brûlés, immergés depuis dans une eau d’un vert étonnant, lagune à la couleur tout aussi changeante, forêts étrangement piquées de traits verticaux qui ne sont autres que les troncs des araucarias, lacs à l’eau d’un bleu franc, surmontés par des montagnes aux sommets blanchis, de temps en temps survolés par des condors, volcan imposant dont les traces des dernières éruptions rappellent la puissance destructrice derrière ses airs apaisés de mont enneigé…

 

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Laguna Arcoiris dans le parc Conguillío

Il est toujours frappant de faire deux fois le même voyage, l’un consacré à la découverte immédiate des beautés (ou laideurs) du paysage, l’autre à celle de la société qui s’est construite autour ou qui l’a construit. En ce sens, Conguillío, c’est un peu le contraire des monocultures d’eucalyptus et de pins qui foisonnent dans les régions du Bío-Bío et de l’Araucanie. Le contraire, ou le bastion de résistance, l’ancienne norme préservée envers et contre un « monde moderne » prétendument incompatible avec elle.

Alors que les secondes révèlent l’existence de l’industrie des celulosas (qui détruisent durablement le sol à coups de monocultures d’eucalyptus et de pins pour exporter de la pâte à papier), le premier rappelle l’esprit dans lequel vivent traditionnellement les Mapuches : l’harmonie avec une nature qu’ils respectent profondément, avec une conscience aiguë de ce qu’ils lui doivent, et dont le Chili actuel semble vouloir se démarquer autant que faire se peut.

C’est que le Chili ne valorise pas beaucoup la culture de ceux qu’il a écrasés pour naître, il y a 200 ans. Parmi eux, les Mapuches, mot qui signifie « gens de la terre » en mapudungun – les Mapuches eux-mêmes lui préfèrent celui de « mapuzugun », plus proche de sa prononciation réelle. On utilise communément le terme de Mapuche (sans « s » à l’origine, puisque « che » signifie « gens ») au Chili pour désigner une population qui représente en réalité quatre grandes familles.

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Panneau signalétique pour évacuer du bon côté, en cas d'éruption du Llaima, au fond

Les Pikunches, les gens du Nord, vivaient autrefois au nord de Concepción. Ce sont eux qui ont affronté les premiers les invasions inca et espagnole, et n’en sont pas revenus. Pas libres, du moins…

Les Lafkenches, les gens de la mer, vivent sur la côte, jusqu’à Valdivia, plus au sud. Ce sont eux que l’on trouve autour du lac Budi, au sud-ouest de Temuco, où des initiatives intéressantes se montent pour faire vivre la culture mapuche (en créant des écoles autogérées où l’on parle mapuzugun, par exemple) et en la faisant connaître (par des rencontres, des ateliers de cuisine, de tissage, d’herbier médicinal).

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Culture de quinoa au bord du lac Budi

Les Huilliches, les gens du Sud, habitent principalement la région des fleuves et des lacs, ainsi que l’île de Chiloé. Ce peuple vit également sur le territoire qu’on appelle maintenant l’Argentine.

Les Pehuenches, enfin, sont les gens de la forêt. Leur nom vient de pehuén, l’araucaria (Araucaria araucana), arbre qui peuple le parc. Ce sont eux que l’on trouve à Conguillío ou à Nahuelbuta (près d’Angol, entre Concepción et Temuco).

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Forêt d'araucarias

Deux Mapuches exilés en France pendant la dictature puis rentrés dans leur pays, Marta et Carlos, accompagnent des visiteurs à la découverte de la culture mapuche et de la réalité humaine liée à ces paysages magnifiques.

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Paysage de lave dans le parc de Conguillío

On apprend ainsi que « Conguillío » traduit en mapuzugun l’idée de se retrouver entouré de pignons (« parmi les pignons »). Le pignon (piñon) est en effet le fruit de l’araucaria et l’aliment de base des Pehuenches. Il fut un temps où les Pehuenches campaient dans des cavernes à Conguillío l’été, pour ramasser un maximum de piñones. Ils poussent sur les arbres femelles, sous forme de boules.

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Fruit de l'araucaria : une boule de pignons

Du pignon, on fait de la farine grillée, « harina tostada », qui sert à la préparation d’une bouillie très nutritive, dont certains font leur petit déjeuner. On en fait aussi du pain. Il peut être consommé cru, même si tous ne s’y prêtent pas. Il a un délicieux petit goût de châtaigne, surtout cuit.

En s’éloignant vers l’est, on arrive dans la réserve du lac Gualletue, près du lac d’Icalma et du volcan du même nom. Une nuée de perroquets verts vole d’un arbre à l’autre, comme au parc des Siete Tazas. On s’arrête chez un artisan qui travaille le bois, et on y goûte du mudaï de pignon, une sorte de bière. Après une promenade dans la forêt, on fait une halte pour pique-niquer dans la famille d’un lonko, chef de communauté mapuche.

boule-pignons

L’un des habitants du lieu se lance à l’assaut d’un araucaria de bonne taille, et grimpe au sommet en moins de deux, avant de faire tomber ses fruits à l’aide d’une perche ou en les lançant. Il en récolte un bon nombre qu’il ramène en brouette, et nous voilà tous à trier les pignons mûrs. On en coupe juste l’extrémité piquante avant de les lancer dans un seau.

   recolte-pignons

Pignons de l'araucaria

À ceux qui se demandent s’il existe encore une culture mapuche au Chili : oui, elle existe, envers et contre l’État chilien, n’en déplaise au guide du palais de La Moneda qui fait valoir auprès des visiteurs étrangers l’intérêt du Chili pour la merveilleuse diversité de ses cultures « originaires », au mépris de la réalité des faits (pour la connaître, lire par exemple Solo por ser indios y otras crónicas mapuches, recueil d’articles du journaliste mapuche Padro Cayuqueo, éd. Catalonia, 2012).

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Sur le sentier de la Sierra Nevada

Par exemple, et c’est un cas exceptionnel, la famille qui nous accueille parle mapuzugun, non pas en plus de l’espagnol, qui serait la langue première, non pas en faisant l’effort de l’utiliser pour la maintenir, mais parce que c’est sa langue maternelle. Les parents parlent entre eux en mapuzugun, et s’adressent en mapuzugun à leurs enfants.

Que fait l’État chilien pour la culture mapuche, lui qui valorise tant la diversité des cultures sur son territoire ? Il propose des programmes visant à « inclure » le mapuzugun dans la scolarité. D’une manière assez risible : 10h de mapuzugun dans une année scolaire, comme s’en moquait une Lafkenche impliquée dans un tas de projets communautaires au lac Budi, c’est du saupoudrage « folklorique ». De la poudre aux yeux. Pour dire le peu de cas qu’on fait de cette culture, on dit « parler comme un indien » au Chili comme on dit « parler petit nègre » en France : la discrimination, la domination ne se cachent pas, elles s’offrent dans toute leur splendeur.

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« ¡Marichiweu! », devise mapuche sur un mur de Concepción : « Dix fois nous vaincrons ! »

Autant dire que les enfants apprennent bien vite de quel côté de la barrière il vaut mieux se placer, et à effacer toute caractéristique de leur culture qui leur vaut moqueries et exclusion sociale. La rencontre avec le système scolaire chilien tel qu’il est conçu actuellement (dans la logique d’une société qui s’est bâtie sur l’anéantissement des cultures des peuples originaires) rompt la transmission. À leur retour de l’internat, les enfants refusent de parler mapuzugun.

Évidemment, le mode de vie mapuche traditionnel va totalement à l’encontre des prescriptions du libéralisme dominant au Chili. Imaginez les entreprises de celulosas penser leur exploitation des forêts dans le respect de la nature. Et, comme le font les Mapuches qui vivent selon les coutumes de leurs ancêtres, demander à la nature, la tierra madre, la permission de lui prendre ce dont elles ont besoin, et seulement ce dont elles ont besoin…

lancer-araucaria

Pourrait-on imaginer cependant que l’État chilien permette aux Mapuches qui souhaitent vivre selon leurs traditions, leurs croyances, leurs valeurs, ou tout simplement sur leurs terres, d’avoir accès à des infrastructures qui leur facilitent la vie, comme à tous les citoyens chiliens ? On a l’impression que ceux qui ont choisi (ou pas !) cette voie sont proprement délaissés.

Les Pehuenches qui, comme cette famille, vivent encore au cœur de Conguillío, peuvent rester quatre à six mois coupés du monde par la neige, l’hiver. Ils doivent alors marcher trois heures (contre 45 mn en temps normal) pour rejoindre la route sur laquelle il pourront prendre la micro (un petit transport en commun), puis un bus pour Temuco, la grande ville la plus proche.

Et quand ils sont malades, se demande-t-on ? Eh bien il arrive qu’ils y restent, comme la femme du lonko chez qui nous pique-niquons l’air de rien. Ils n’ont pour alimentation, tout l’hiver, que du pain fait à partir de farine de pignons et du maté, cette infusion énergisante très prisée en Argentine. Les pommes de terre, les tomates, le maïs, les pommes, c’est du luxe, et l’on comprend mieux, a posteriori et grâce aux informations données par Marta, la réaction que suscite le fait de laisser le reste de notre déjeuner, avocat ou citron, comme s’il s’agissait d’un trésor inespéré. Désagréable prise de conscience… de notre inconscience.

Dédicacé aux Pehuenches amateurs qui tapas.


Références

– Site officiel du parc de Conguillío (en espagnol).

– Toponymie du Chili (en espagnol).

– Site de la communauté du lac Budi qui accueille des touristes (en espagnol).

– Site de la ruka Melilef, à Melipeuco, près du parc Conguillío, pour découvrir la culture mapuche avec Marta et Carlos (en français, anglais et espagnol).

– Padreo CAYUQUEO, Solo por ser indios, fiche du livre, éd. Catalonia, 2012 (en espagnol).

– Pilar ÁLVAREZ-SANTULLANO B. et Amílcar FORNO S., « La inserción de la lengua mapuche en el currículum de escuelas con educación intercultural: un problema más que metodológico », Alpha, nº 26, juillet 2008, p. 9-28, consulté le 16 avril 2013 (en espagnol).

– Omar GARRIDO PRADENAS, « Influencia de la escuela en la pérdida de la identidad cultural: el caso de la educación indígena en la región de la Araucania »Tarbiya, nº 19, 1998, p. 7-29, consulté le 16 avril 2013 (en espagnol).

– CENTRO DE DOCUMENTACIÓN MAPUCHE, « Inauguran proyecto de electrificación rural en comunidad mapuche de la cordillera de La Araucanía », 16 juillet 2012, consulté le 16 avril 2013 (en espagnol). 

31 mars 2013

Humberstone, une ville fantôme dans le désert

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Entrée du site d'Humberstone, 2012

Le voyageur qui s’égarera dans la région d’Iquique trouvera – comme partout au Chili – sa curiosité récompensée. Dans un rayon de 100 km autour de la ville côtière la plus au nord du Chili après Arica, on trouve autant des merveilles archéologiques et naturelles que des traces historiques saisissantes : les géoglyphes (ceux de Pintados mais aussi le Gigante del Atacama), témoignages de coutumes d’un temps lointain dont l’interprétation est toujours un exercice bien téméraire, des curiosités comme l’oasis de Pica ou les thermes de Mamiña, le magnifique salar de Huasco, Pisagua à l’histoire douloureuse (voir Pisagua, para que nunca más)… et les restes de l’épopée du salpêtre.

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Un tamarugal non loin du cerro Pintados, 2012

Humberstone est l’une des nombreuses « oficinas salitreras » qui ont vu le jour dans le nord du Chili au XIXe siècle, dans la « pampa del tamarugal » (ou Prosopis tamarugo), arbre endémique qui a la particularité de développer des racines très longues pour aller puiser au plus profond du sol la moindre goutte d’eau disponible et supporte les sols salins de ce désert aride.

L'essor du salpêtre

Ce terrain pour le moins hostile a connu ses heures de gloire justement grâce à son sel, le salpêtre (étymologiquement « sel de pierre »), nom donné à différents nitrates. Au Chili il s’agit de nitrate de sodium.

On comprend son intérêt quand on sait qu’il entre, avec le soufre et le charbon de bois, dans la composition de la poudre à canon. La demande a été forte au XVIIIe siècle, et a poussé à chercher de nouveaux sites. Un intérêt indissociable du conflit qui opposé Chili, Pérou et Bolivie de 1879 à 1884 pour garder ou prendre possession de cette même région. On appelle ce conflit « guerre du Pacifique », mais aussi « guerre du salpêtre » (guerra del salitre). Le Chili en est sorti vainqueur, confisquant à la Bolivie son accès à la mer (origine du conflit qui oppose toujours les deux pays), et au Pérou la région de Tarapaca.

 

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La réclame bat son plein

Toute la région a donc été tournée vers la production de salpêtre, qui représentait la moitié du produit intérieur du Chili en 1890 ! De 6 000 personnes dans les années 1880, la population ouvrière est passée à 46 000 dans les années 1910, avec 118 usines, dont celle d’Humberstone.

Il se trouve que l’utilisation du salpêtre pour la fabrication de la poudre à canon s’est doublée à partir des années 1830 de celle de la fabrication d’engrais. Alors que les Atacameños et les Incas, habitants du Nord du Chili actuel, utilisaient le salpêtre comme engrais pour leurs cultures, les vertus fertilisantes du nitrate n’ont été « découvertes » en Europe qu’à cette période. Le Chili a su mettre en avant cette qualité dans le monde entier, avec succès. On utilisait également le salpêtre pour la fabrication de plaques photographiques et on en extrayait de l'iode pour ses propriétés désinfectantes, une part sans doute anecdotique de l'activité. Quoi qu'il en soit, en 1913 le salpêtre représentait 80 % des exportations du Chili.

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Au début l’on broyait manuellement le caliche (ou salpêtre), puis on lui faisait subir une lixiviation (sic) par cuisson sur du cuivre chauffé par du feu. Une fois les sels dissous, on clarifiait le liquide et on le laissait sécher au soleil pour qu’il cristallise. En 1875, James Shanks a mis au point un nouveau procédé qui rend la lixiviation plus efficace et entraîne l’ouverture de nombreuses usines dans la région. Le procédé fut adapté à la réalité chilienne par l’ingénieur James Thomas Humberstone, dit « don Santiago », qui a donné son nom à l'usine de La Palma, péruvienne à sa création, quand l’usine est passée entre les mains de la compagnie anglaise New Tamarugal Nitrate Co.

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Schéma de la transformation du salpêtre dans le système Shanks

Après l’apogée, le marché connaît beaucoup d’instabilité, et en particulier avec l'arrivée des engrais chimiques. L'industrie se maintient pourtant quelque temps grâce à la publicité internationale, avant de décliner jusqu'à disparaître. Ce fut le cas d'Humberstone, désertée en 1960.

Une ville au milieu du désert

Si Humberstone est donc représentative d’une industrie décisive pour le Chili aux XIXe et XXe siècles, c’est aussi une véritable ville au milieu du désert, organisée autour de l’activité salpêtrière. À l’apogée de l’ère du salpêtre (1948), la ville-usine comptait 3 000 âmes, un hôpital, un théâtre, un hôtel, une piscine, un terrain de sport, une école, une caserne de pompiers… On a du mal à se représenter ces activités urbaines quand on tourne le regard vers l’horizon désert, sec et poussiéreux.

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Vue sur Humberstone depuis le terril, accumulation des résidus miniers.
Les quartiers ouvriers se trouvent au fond à gauche,
le théâtre au centre, et l'école à droite, 2012

On n’a pas trop d’une journée pour venir à bout des collections exposées, de la visite des logements et de tous les lieux publics construits dans les années 1930. Certains ont été restaurés depuis que la ville est entrée au patrimoine de l’Unesco en 2005.

Au patrimoine en péril, plus exactement. Il faut dire que séismes et pilleurs ont ajouté leur touche à l’érosion dont souffraient déjà les lieux. Les alentours ont été de véritables terrains de chasse aux trésors pour les collectionneurs d’objets du XIXe siècle : chaussures, lampes de mineurs, clefs, bobines de fil, jetons de pulpería, machines à écrire, vaisselle anglaise… On y a pillé jusqu’au bois, en l’arrachant des édifices.

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Mesures de sécurité à appliquer si vous souhaitez entrer...

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... là-dedans. Photo : A. Magot.

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Cette photo est plus fidèle à l'état général des bâtiments. Photo : A. Magot.

Il en reste pourtant assez pour pouvoir parler de ville fantôme, et c’est ce qui fait tout le charme d'Humberstone : traversée par un vent chaud, en plein soleil, elle ouvre aux visiteurs ses portes, souvent inexistantes ou branlantes, laisse à voir ses murs recouverts de graffitis (très récents et qui témoignent du manque d’éducation en matière de patrimoine) ou éventrés. La précaution est de mise pour le visiteur qui aura bien du mal à résister à la tentation d’explorer le moindre recoin de chacune des pièces qui s’offrent à sa vue.

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Passé la place et les salles de musée, on se retrouve, dès l’après-midi, dans une ambiance de film post-apocalyptique, entre le plaisir de pouvoir découvrir les lieux en toute liberté, et la sourde appréhension que génèrent le mélange de solitude, de climat hostile et de traces d’une vie disparue.

Le reflet d'une société hiérarchisée

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Une maison d'employé à Humberstone

Humberstone reflète par ses bâtiments la hiérarchie de la microsociété qu’elle abritait : les maisons les plus spacieuses (140 m2) avec jardinet sont celles des chefs de section et autres personnages puissants (elles servent pour la plupart de vitrines au musée des objets retrouvés sur le site), puis viennent les employés, les ouvriers mariés (où l’on découvre que la jouissance d’une salle de bains est conditionnée au mariage), et enfin les ouvriers célibataires, sous-caste reléguée à l’équivalent de la chambre de bonne, avec une unique fenêtre donnant sur une cour entre deux rangées de chambres, disposant de sanitaires communs, le tout fermé et gardé.

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Un logement d'ouvrier célibataire à Humberstone

Les services administratifs se trouvaient quant à eux dans la maison la plus ancienne du lieu. Elle a été construite en 1883, du temps où Humberstone s’appelait encore « La Palma ». Elle est d’architecture anglaise, à l’image de ses futurs propriétaires (Gibbs and Co, puis la New Tamarugal Nitrate Co qui prit momentanément possession de la salitrería pendant la guerre du Pacifique). Elle servait également de logement à l’administrateur et aux employés célibataires, qui ne devaient pas vivre mal leur travail dans la mesure où ils disposaient d’une bibliothèque, d’une salle de billard, d’une salle de jeux, d’un salon de musique, d’un bar et d’autres dépendances. Avec un court de tennis en prime.

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Casa de administración

Cette maison abrite une exposition sur les processus de fabrication du nitrate, les conditions de travail des ouvriers et les publicités internationales sur le nitrate du Chili.

Les raisons de la colère

Derrière les images d’Épinal et les jolies photos sépia, la pampa del Tamarugal, alors entièrement dévolue à l’industrie du salpêtre, a également été un haut-lieu de revendications sociales. Le salpêtre a rapporté énormément à l’État chilien, qui a investi entre autres domaines dans l’éducation (20 000 élèves en 1890, 396 000 en 1920) et le réseau ferroviaire (qui est passé de 1 100 à 1 920 km dans le même temps).

Mais alors que le salpêtre générait des revenus énormes pour les propriétaires des oficinas des régions de Tarapaca et d’Antofagasta, les ouvriers étaient très mal traités. Qu’il s’agisse des dockers de Valparaíso et d’Iquique travaillant pour l’exportation du précieux nitrate, des cheminots chargés du transport du salpêtre à terre ou des ouvriers comme ceux d’Humberstone, tous se sont montrés très sensibles au début du XXe siècle aux discours socialistes et anarchistes (convictions qui perdurent à Iquique, voir article Pisagua, para que nunca más).

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Le transport du salpêtre en train vers 1900. Collection du Musée historique national.

En ce qui concerne les ouvriers d’Humberstone (des Chiliens, des Péruviens et des Boliviens), leurs conditions de travail et de vie à cette époque sont très difficiles : leurs journées de travail sont très longues (16 à 18h), leurs conditions de travail dangereuses, ils ne sont protégés par aucun contrat, disposent de logements précaires, alors que le commerce du salpêtre n’a jamais généré autant de revenus, sont rémunérés par un système de jetons.

Les ouvriers, par ailleurs rationnés sur les produits de base, n'étaient en effet pas rémunérés en pesos mais en jetons : des jetons échangeables dans les boutiques de la salitrería. Un jeton valait spécifiquement pour une certaine quantité de fruits, de viande ou de produits d’épicerie.

On mesure, comme c’était le cas dans la mine de charbon de Lota, près de Concepción (voir article Au charbon), la dépendance des ouvriers à leur employeur dans ces conditions. D’autant que le cours de ces jetons était indexé sur celui de la livre sterling, propriété anglaise oblige : si le cours de la livre baissait, la valeur du jeton aussi, et il fallait travailler plus d’heures pour pouvoir acquérir les mêmes produits.

 

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Si la présence d’un hôpital dans lequel les frais médicaux et de pharmacie étaient payés par la salitreria laisse penser que les propriétaires se souciaient de la santé des ouvriers, il faut bien noter qu’il n’a été construit qu’en... 1936. Les habitants d’Humberstone ont alors pu bénéficier d’une salle d’opération, d’une banque du sang, d’une maternité et des services d'un personnel médical (médecin, dentiste, aide-soignants, sage-femme et infirmiers).

 

Le massacre de l’école de Santa Maria de Iquique

Comme le dit la chanson de Luis Advis interprétée par Quilapayún dédiée à cet épisode terrible de l’histoire chilienne, Cantata de Santa María de Iquique : « No hay que ser pobre, amigo, es peligroso. » (Il ne faut pas être pauvre, mon ami, c’est dangereux.)

Au début de XXe siècle, le peso connaît une dévaluation de 18 à 7 centimes de livre sterling (ou pennies). Les grèves se multiplient. Malgré une situation d’exploitation extrême, les ouvriers en grève en décembre 1907 portent des revendications mesurées : ils demandent une rémunération en monnaie (et non en jetons), l’augmentation des salaires sur la base d’un taux de change fixe (18 pennies pour un peso), des mesures pour éviter les accidents, des indemnités en cas d’accident, la fin du monopole de la pulpería, l’interdiction de licencier ceux qui auront participé à cette grève, la création d’écoles du soir pour les ouvriers.

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Manifestants à Iquique, 10 jours avant le massacre, 1907.
Collection Musée historique national.

On estime à 20 000 le nombre de mineurs des oficinas qui ont rejoint (ceux de San Lorenzo en tête) les cheminots et les dockers du port d’Iquique pendant la grève de 1907, après plusieurs jours de marche. Au bout de quelques jours, alors que les grévistes et leurs familles se sont regroupés dans l’école Santa Maria de Iquique en attendant des négociations qui n'auront jamais lieu, la lutte pour les droits des ouvriers a été réprimée dans le sang par l’État chilien : le président Pedro Montt et son ministre Rafael Sotomayor ont ordonné à l’armée de tirer sur ces manifestants pourtant pacifiques le 21 décembre. L’État a reconnu officiellement 120 tués. On estime d’après les témoignages que les chiffres s’approcheraient plutôt des 3 000 ou 4 000.

Loin de devenir le lieu privilégié du souvenir de ce massacre par l’État chilien, soucieux de défendre les intérêts des plus puissants au prix de vies humaines, l’école Santa María de Iquique a été démolie en 2011 par l’État, pour construire un lycée.

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Syndicat métallurgique à Humberstone, fondé en 1946 par Carlos Venegas.

Si cet épisode n’aura pas changé le sort des ouvriers des oficinas, il aura contribué à la prise de conscience de ce qu'on a alors appelé la question sociale, et à la création des premiers partis et syndicats chiliens.

  

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« Une victoire du temps des ouvriers tombés pendant leur lutte pour construire une société sans exploités ni exploiteurs !
100 ans du massacre de l'école Santa Maria, 21 décembre 2007. Joaquin. » Photo : A. Magot

 

La visite en images

 

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Le quartier gardé des ouvriers célibataires. Photo : A. Magot.

 

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Les sanitaires communs à disposition des ouvriers célibataires.

 

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Terrain de sport

 

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 Le marché, au centre de la ville. Dans les locaux extérieurs étaient établies des boutiques de photographe, cordonnier, coiffeur, librairie, couturier, tailleur et une boutique de sport. Dans les locaux intérieurs une épicerie (la « pulpería »), un primeur (les légumes et fruits frais venaient des vallées de la pré-cordillère et des vallées encaissées de la région), une poissonnerie et une boucherie. On y trouvait également charbon, bois de chauffe et paraffine. Photo : A. Magot.

 

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Températures à respecter dans les entrepôts frigorifiques du marché.

 

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Vue sur le plongeon à trois niveaux de la piscine (24 m de long, 12 m de large, 2,3 m de profondeur !)

 

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Le théâtre rénové d'Humberstone comptait deux représentations par jour
et une matinée le dimanche pour les enfants

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Construit en 1936, le théâtre pouvait accueillir 800 spectateurs et recevait des artistes nationaux et étrangers, des troupes d’opérettes, des zarzuelas, des films.

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Intérieur de l'hôtel

 

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Salle de classe rénovée dans l'école primaire. Photo : A. Magot

 

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Intérieur de l'école. Photo : A. Magot

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Cour de l'école

 

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Des jouets réalisés avec les moyens du bord : fil métallique et boîtes de conserve.

 

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La caserne de pompiers, au pied du terril.
Pas inutile avec des installations dans lesquelles la température pouvait dépasser les 50°C
et des logements en bois dans un climat si sec.

 

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La place est bordée par le marché, le théâtre et l'hôtel.
Les touristes s'y font prendre en photo dans une carriole, en costumes d’époque.

 

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 Cheminée de l'usine d'Humberstone. Poussière asphyxiante et aveuglante des concasseuses, chaleur brûlante (plus de 50°C), travail avec des explosifs (explosions sur la route), travail des enfants : un vrai poème. Photo : A. Magot, 2012

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Installations de l'usine. Photo : A. Magot

 


Références

– Encyclopédie Larousse, terme « salpêtre », consulté le 26 mars 2013 (en français). 

– Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, expression « poudre à canon », portail Atilf, consulté le 26 mars 2013 (en français).

– UNESCO, « Usines de salpêtre de Humberstone et de Santa Laura », consulté le 26 mars 2013 (en français).

– Historia de las oficinas salitreras en Chile, « Formación de la fuerza del trabajo del salitre », consulté le 26 mars 2013 (en espagnol).

– Jacques FONTENOY, « Chili, 21 décembre 1907. Le massacre des mineurs de Santa María de Iquique, 21 décembre 2007 », Journal Lutte ouvrière, n° 2055, 21 décembre 2007, consulté le 26 mars 2013 (en français).

– Claudio SAPIAÍN, Santa María de Iquique, film de 1969, visible lors du festival international de films documentaires de Paris, au centre Georges-Pompidou, 21-31 mars 2013, consulté le 23 mars 2013 (en espagnol).

– DIBAM (Dirección de bibliotecas, archivos y museos), « Matanza Escuela Santa María de Iquique, 21 de diciembre de 1907-2007 », (en espagnol).

– Iquique TV, « Matanza de la Escuela Santa María de Iquique », mis en ligne le 21 octobre 2007, consulté le 26 mars 2013 (en espagnol).

– Ricardo PEREIRA VIALE, Album desierto Atacama y Pampa del Tamarugal consulté le 30 mars 2013 (en espagnol, anglais et allemand).

– QUILAPAYÚN, Cantata popular de Santa María de Iquique, chanson de  de 1969 (en espagnol).

– Luís ADVIS, paroles de Cantata popular de Santa María de Iquique, 10acordes, consulté le 26 mars 2013 (en espagnol).

– Vanessa VARGAS ROJAS, « Gobierno quiere demoler escuela Santa Maria de Iquique », El Ciudadano, 7 février 2011, consulté le 30 mars 2013 (en espagnol). 

– « Matanza de la escuela Santa María de Iquique », liste des revendications des ouvriers, Patrimoniochileno.net, consulté le 30 mars 2013 (en espagnol). 

– Centro Estudios Miguel-Enríquez (CEME), Santa María de Iquique en la memoria 1907-2007, la recordación y el homenaje a la lucha de los trabajadores del salitre, archivochile.com, consulté le 30 mars 2013 (en espagnol).

26 février 2013

Le manchot derrière le pingouin

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Vous voulez voir du pingouin ? Le Chili va vous ravir ! Enfin, je dis du pingouin, en réalité il s’agit de manchots. On les appelle tous les deux « pingüinos » en espagnol, mais le français les distingue. On ne trouve les pingouins à proprement parler que dans l’Atlantique nord. Le « petit pingouin », le seul qui ait survécu dans le nord, peut voler, contrairement au manchot, qui comme naguère le « grand pingouin », espèce aujourd’hui disparue, se sert de ses ailes comme de nageoires, et ne peut pas voler.

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Manchots de Magellan sur l'île Magdalena

Estropié, le volatile s’est fait nommer « manchot ». Et c’est vrai que sa démarche claudiquante lui donne une allure pataude. Cela dit, c’est un excellent nageur qui atteint la vitesse de 20 km/h et descend à 80 mètres de profondeur, ça prête moins à la moquerie ! Comme le dauphin, il remonte de temps en temps pour respirer, ce qui permet de le voir en prenant le bac pour Chiloé, par exemple.

De mars à septembre, on trouve des manchots dans le nord, depuis Chiloé jusqu'au nord de La Serena. Et même Concepción, eh oui ! Ou plutôt dans la caleta Chome, à Hualpén, commune limitrophe de Concepción. Bon, ils sont un peu perdus quand ils échouent ici, c’est vrai.

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Manchot de Humboldt fugueur dans la caleta Chome, septembre 2010

Certains lieux sont ouverts au public pour approcher ce drôle de volatile. Évidemment, l’entreprise est un peu contradictoire puisqu’elle met en avant des animaux qu’elle perturbe par la même occasion, par le défilé des bateaux ou des visiteurs…

La manchotière de Piñihuil à Chiloé

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Pingüinera de Puñihuil, février 2011

Pour ceux qui partent vers le sud depuis Santiago, la manchotière de Piñihuil (qui se nomme « pingüinera » en espagnol, donc) est une destination tout indiquée. Elle se trouve à environ 1h30 de route d’Ancud, ville du nord de l’île de Chiloé. Là aussi on approche les manchots, de Humboldt (Spheniscus humboldti) et de Magellan (Spheniscus magellanicus), par bateau (prenez bien soin de réserver votre place à l'avance, et de vérifier les horaires des 3 bus quotidiens, hors fins de semaine, si vous n'avez pas de véhicule). Les premiers sont identifiables par leur bande noire et la base un peu rosée de leur bec, les seconds par leur double bande noire. On peut facilement les observer sur leurs rochers en février, période à laquelle les manchots adultes muent. L’absence de plumage ne leur permet pas de se mettre à l’eau pendant 20 jours. En mars ils quittent peu à peu les îles à la recherche de nourriture, sans remettre la patte sur la terre ferme avant le mois d’août.

L’île Choros, au nord de La Serena

Si vous allez vers le nord depuis Santiago, vous pourrez en voir (depuis un bateau), sur l’isla Choros, au nord de La Serena, autour de laquelle gravitent également des lions de mer (lobos marinos) et des dauphins. L’île fait partie de la réserve nationale des manchots de Humboldt, avec les îles Damas et Chañaral. Mieux vaut emporter des jumelles, car les manchots se confondent facilement avec les rochers.

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Après Où est Charlie, où est le manchot ?

Les menaces qui pèsent sur le manchot de Magellan

Ça fait 35 millions d’années que le manchot de Magellan occupe la Patagonie, et pourtant il est loin d’être maître des lieux. Parmi les espèces qui le menacent, on trouve le phoque léopard et l’orque. Mais la plus dangereuse reste l’homme : par une pêche excessive, qui le prive de son alimentation (sardines, anchois, mollusques, crustacés) et tend des filets dans lesquels il peut rester pris ; par la chasse aussi, dont il a fait l’objet de la part de baleiniers à la recherche de sa graisse dont ils faisaient de l’huile.

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L'île Magdalena, recouverte de volatiles

Le manchot est particulièrement menacé par la pollution aux hydrocarbures (le dégazage a pour conséquence l’ingestion d’hydrocarbures, qui abîment l’estomac, et la détérioration du plumage, qui ne permet plus au manchot de maintenir sa température : il meurt de froid dans l’eau ou d’inanition à terre, ne pouvant plus aller se nourrir dans l’eau. On estime que les hydrocarbures tuent 40 000 manchots par an). Enfin, par le réchauffement climatique, responsable du phénomène de la Niña, qui entraîne une baisse de ses ressources alimentaires, influe sur son cycle de reproduction et lui demande plus d’énergie pour maintenir sa température. Ce phénomène entraîne une modification des courants marins qui explique pour certains le nombre surprenant de manchots (des centaines) qui sont arrivés sur les plages de Salvador, au Brésil, en 2008, perdus à 2000 km de leur route habituelle.

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Les visiteurs de l'île Magdalena

Tout cela fait du manchot de Magellan une espèce quasi menacée. Sans compter... le tourisme de masse. Même si le nombre de visiteurs est limité par la plupart des parcs, il est important.

L’île Magdalena dans le détroit de Magellan

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C’est en Patagonie (côté chilien comme argentin) que les manchots de Magellan se reproduisent. Il s’y retrouvent à l'approche du printemps austral. Au Chili, vous pourrez pour ainsi dire prendre un bain de manchots sur l’île Magdalena, baignée par les eaux du détroit de Magellan, à 2h30 de bateau de Punta Arenas. Là vivent, depuis la période de reproduction jusqu’au sevrage des poussins, 60 000 couples !

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Les petits points blancs qu’on discerne sur la photo, ce sont eux. Et des mouettes, aussi, pour qui les poussins sont des proies.

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Les manchots de l’île Magdalena, eux, sont bien sur leur itinéraire habituel. Ils reviennent en août ou septembre, à l’annonce du printemps, dans leurs terriers, que les mâles viennent creuser ou retaper chaque année, avant que leurs femelles ne les rejoignent (les manchots forment des couples souvent très durables).

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En septembre-octobre les femelles pondent un ou deux œufs, que mâle et femelle couveront alternativement pendant 42 jours, l’un allant se nourrir tandis que l’autre reste au nid. Tout ébouriffé, le petit a en février la même taille que ses parents, mais une allure différente.

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C’est alternativement également que mâle et femelle nourriront leurs petits, nés en octobre-novembre. (Voilà de quoi en prendre de la graine. En revanche je ne ferai pas de prosélytisme en ce qui concerne la partie régurgitation, qui constitue le mode d'alimentation des poussins.) Les parents protègent leurs petits des mouettes, leur principal prédateur. En janvier, quand les plumes ont poussé et que leur organisme sait réguler leur température, les petits apprennent à nager. 

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Sur cette île, l'ambiance est du tonnerre : les couples s’appellent à coups de longs cris de bronchitiques avant de s’arrêter net, 

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ça part à la plage entre potes, 

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ça se papouille,

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ça creuse son nid, ça ronfle en position tortue dans un coin, ça fornique, ça se chicane puis ça se bat avec virulence à coups de bec, avant de se séparer dans l’indifférence la plus totale, ça prend un air méditatif, les yeux mi-clos,

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ça traverse en dehors de clous, et au risque de rencontrer la horde de touristes elle-même lâchée au milieu d’une horde de pingouins, mais entre deux cordes. On ne sait plus qui observe qui.

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Si les manchots paraissent confiants et curieux, méfiez-vous de celui qui penche la tête à droite puis à gauche, il ne fait pas que se demander à quel énergumène il a affaire, il vous observe sous toutes les coutures car il s’apprête à attaquer.

Il ne faut évidemment pas toucher les manchots, ni les approcher à moins d’un mètre, ni gêner leur trajectoire entre la mer et leur nid.

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Les manchots royaux de la Terre de Feu

Enfin, si à la démarche de ces petits volatiles de moins de 5 kg qui a sans doute inspiré Chaplin vous préférez la prestance des manchots royaux (Aptenodytes patagonicus), vous pouvez en apercevoir des colonies sur la Terre de Feu (ancienne demeure des indiens Selknam, partagée comme la Patagonie par le Chili et l’Argentine). 

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Colonie de manchot royaux sur la Terre de Feu

En février 2013, on en trouvait sur un terrain privé (dans lequel on entre pour la modique somme de 12 000 pesos par personne, soit pas loin de 20 € – le commerce du manchot est juteux), entre Porvenir et San Sebastian. Ici n'entrent que 20 personnes à la fois, et on n’approche pas à moins de 20 mètres des manchots. La présence de visiteurs reste toutefois facteur de troubles.

 

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Devinez qui couve et qui fait des claquettes

Comme le manchot de Magellan, femelles et mâles couvent et nourrissent leur petit. Et comme le fait le manchot empereur (Aptenodytes forsteri, voir l’épopée La marche de l’empereur, documentaire de Luc Jaquet de 2004), le manchot royal porte son petit entre ses pattes pendant 30 à 40 jours après l’éclosion de l’œuf.

À la différence que seul le mâle garde l’œuf entre ses pattes chez le manchot empereur, qui vit en Antarctique, pendant que la femelle part chercher de la nourriture en mer.

Alors qu’il se tient debout au milieu de ses compagnons, on aperçoit de temps en temps le manchot royal donner la becquée (régurgitée) à son poussin ébouriffé, planqué au chaud entre ses pattes. 

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Le manchot régurgite pour nourrir son petit... et on ne sait plus bien qui mange qui...

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Sur le moindre kilomètre carré de son sol, le Chili sait décidément nous en mettre plein la vue.


Références

– CNRTL (Centre national de ressources textuelles et lexicales), terme « pingouin », consulté le 26 février 2013 (en français).

– CNRTL (Centre national de ressources textuelles et lexicales), terme « manchot », consulté le 26 février 2013 (en français).

– Site de la pingüinera de Puñihuil (en espagnol), consulté le 26 février 2013.

– Daniel MARTÍNEZ PIÑA et Gonzalo GONZÁLEZ CIFUENTES, Las aves de Chile. Nueva guía de campo, Chili, ediciones del Naturalista, 2004, p. 260-265 (en espagnol).

– CONAF, Reserva nacional pingüino de Humboldt (dont l'île Choros, au nord de La Serena), consulté le 26 février 2013 (en espagnol).

– Claire DE OLIVEIRA, « Plus de 1000 manchots de Magellan s'échouent au Brésil », LaPresse.ca, AFP, 13 août 2008 (en français).

– Julián VARSAVSKY, « Argentine : l'amour éternel des manchots », Courrier International, 17 décembre 2010 (en français).

Parque pingüino rey, consulté le 26 février 2013 (en espagnol). 

 

25 décembre 2012

¡Feliz Navidad!

 

maison_Noel

La maison du Viejito Pascuero à Concepción

Oubliez foie gras et champagne, ici c'est plutôt pan de Pascua (une sorte de cake aux fruits confits, gingembre et miel) – parce que « Noël au balcon, Pâques à Noël » – et cola de mono (littéralement « queue de singe », nom dont les origines ont donné lieu à diverses versions), la boisson alcoolisée de Noël. Un sympathique mélange de lait concentré sucré, eau-de-vie, épices et café.

La référence à Pâques, que l'on retrouve dans le nom du père Noël, ici appelé Viejito Pascuero, s'explique par le fait que le terme renvoie aux solennités liées à la naissance du Christ. Certains considèrent Pâques comme un second Noël, les Chiliens considèrent Noël comme d'autres Pâques.

Même s'il commence tôt, le déploiement de décorations et de musique pour Noël est sans commune mesure avec celui des Fiestas Patrias. Pas de guirlandes clignotantes, d'étoiles ou de flocons : des bonnets rouges à pompon blanc coiffent les réverbères. Noël se fait discret, familial, pas de Jingle Bells à répétition dans chaque recoin de la ville, pas de "¡Feliz Navidad!" lancé à tout bout de champ.

Il faut dire que l'été austral rend l'attirail de l'hémisphère Nord, sapins enneigés et gros habits rouges et blancs fourrés, un poil décalé. Pas de dérogation pour le livreur de cadeaux emmitouflé. Cela dit, cette année le papá Noel n'aura pas trop souffert de la chaleur à Concepción, où la pluie tombait le 24 au soir. L'équivalent de la neige tant attendue à cette période dans l'Ancien Monde ? 

La maison qui lui est dédiée se tient comme tous les ans sur la plaza de Armas. On a pris soin d'y installer le même type de toboggans que ceux des crèches (les jardines infantiles), destinés à l'évacuation des petits en cas d'urgence.

creche_Noel

La crèche de Noël de Concepción

La crèche de Noël, elle, est à ses côtés face à la cathédrale. À défaut de savoir à quel saint se vouer, on a le choix.

Quant au pauvre vieillard, qui n'a toujours pas ouvert d'annexe au pôle Sud, pourtant si près, il est toujours contraint de faire le voyage depuis le pôle Nord...


Références

– Dictionnaire de la Real Academia Española, article « Pascua »

 

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