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Grands moais et ptits pingouins
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18 septembre 2010

Pendant ce temps-là, chez les Mapuches

  chilenidad

Voilà une semaine que les gardiens d’immeuble ont commencé à décorer les halls à coups de guirlandes tricolores, de sombreros et de bouteilles de vin. Une semaine que chacun s’attache à dénicher un drapeau qu’il dresse à la fenêtre de sa maison ou de sa voiture. Une semaine que dans les magasins comme les administrations, de l’installation de bottes de foin dans un coin à la cueca qui résonne par-delà les guichets de retrait de passeport et de transfert de carte grise, tout nous rappelle l’événement à venir : le bicentenaire de l’indépendance du Chili. À l’occasion de ces fiestas patrias exceptionnelles, le 17 et le 20 septembre sont chômés.

Le Chili commémore aujourd’hui le 18 septembre 1810, jour où des criollos, des Créoles, descendants des colons, ont constitué la première assemblée nationale de gouvernement du Chili et proclamé l’indépendance de leur pays, même si elle ne sera effective que le 12 février 1818.

 

manifestation

 

Tout le monde a entendu parler des Aztèques, des Mayas, des Incas. Bien moins des Mapuches. Dans la langue de ces premiers habitants du Chili, le mapudungun, « mapu » signifie « terre » et « che », « homme ». Ces « gens de la terre » habitaient ce qui est resté, sous un nom donné par les Espagnols, l’Araucanie, au sud du fleuve Bío-Bío, qui marque le limite de leur territoire.

Ce territoire, ils l’ont défendu avec succès pendant les trois siècles d’invasion espagnole. Leur organisation sociale les rendait difficiles à soumettre. Ce sont les seuls « Indiens » à avoir obtenu, par traité avec l’Espagne, la reconnaissance de leur autonomie, en 1641.

À l’Indépendance, l’État chilien n’a fait que poursuivre l’extermination entreprise par la couronne espagnole. Au recensement de 1992, les Mapuches n’étaient plus qu’un million. Après avoir été spoliés de 90 % de leurs terres, ils sont terriblement appauvris et vivent pour moitié dans des poblaciones de Santiago, des zones d’habitat précaire, essayant de se fondre dans le paysage urbain. Seuls 20 % vivent dans leur région d’origine.

Aujourd’hui, ils luttent toujours pour reconquérir une partie des terres qui leur ont été soustraites, d’abord par les conquistadors, puis par l’État, et enfin par les entreprises privées. Industriels de la salmoniculture, compagnie espagnole à l’origine de la construction d’un barrage hydro-électrique, entreprises forestières, grands propriétaires : c’est avec l’aval du gouvernement que leurs terres sont confisquées ou ravagées.

 

À l’heure où l’on acclame la « chilenidad » (« chilénité » ?), peut-être faudrait-il se souvenir de ces Chiliens de seconde catégorie, victimes de racisme et de discrimination malgré les lois censés les en protéger, si dépréciés qu’ils en viennent à abandonner leur langue et parfois à changer de nom pour passer pour de « vrais » Chiliens.

Leur résistance à leur dépouillement est appelée aujourd’hui « terrorisme ». Une loi (loi 18.314, de 1984) votée du temps de la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990) est remise au goût du jour expressément pour ces rebelles. Quand des grévistes de meilleure ascendance brûlent un véhicule, ils ne sont pas condamnés à de lourdes peines. Les Mapuches, eux, sont traités comme des terroristes. Ils sont accusés sur la foi de témoignages anonymes dont les auteurs sont payés par la police, subissent torture et humiliations. Leurs sympathisants, journalistes et documentaristes, par exemple, font l’objet d’arrestations et leurs logements sont perquisitionnés.

Même la Conadi (Corporación Nacional de Desarrollo Indígena – Corporation nationale de développement indigène), organisme public au service, en particulier, des Mapuches, dispose de moyens qui ne lui permettent pas une action d’ampleur, et a un fonctionnement tel que, selon certains, elle reproduirait la domination plutôt que de la contrer.

 

 

Pendant que les militaires défilent et que les drapeaux soulignent l'attachement des Chiliens à leur patrie, trente-quatre prisonniers politiques mapuches, rejoints récemment par quatre députés, sont en grève de la faim depuis deux mois et réclament, entre autres revendications essentielles, la suppression de cette loi antiterroriste qui n’est jamais qu’un nouvel outil d’oppression.

 

Mapuches et « winkas », « indigènes » et Chiliens semblent former deux peuples distincts et antagonistes au sein d’un même pays. De quoi se poser des questions sur la teneur de cette chilenidad revendiquée lors de ces journées d’exaltation nationale.

 


Sources

– Alain DEVALPO, « Mapuches, les Chiliens dont on ne parle pas », Le Monde diplomatique, 15 septembre 2010.
– Alain DEVALPO, Voyage au pays des Mapuches, Paris : Éditions Cartouche, 2007.
– Andrea ARAVENA REYES, « Ces Indiens qu’on ne voit pas », Le Courier Unesco, septembre 2001.
Cristina L'HOMME, « Chili : les indigènes mapuches sont vus "comme des sauvages" », Rue 89, 21 août 2010.
Raúl ZIBECHI, « La imposible domesticación del pueblo mapuche », La Jordana, 20 septembre 2010. Traduction française.
José BENGOA, Historia del pueblo mapuche. Siglo XIX y XX, Santiago : LOM, 1985 (1re éd.). Extraits disponibles sur Google Livres (en espagnol).

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