Tu l'as senti ?
- Vous l'avez senti ?
- Euh, quoi donc ?
- Le tremblement de terre, cette nuit !
C'est donc possible : dormir tranquillement sans percevoir le mouvement du sol sous la ville. Passer à côté d'un événement inédit dans une vie d'Européen moyen. Le repas d'Air France était si lourd que ça ? Allez, pas de regret, y en aura d'autres, nous promet-on.
Evidemment il y en a eu un, surtout, "El Terremoto", celui du 27 février 2010 (8,8 sur l'échelle de Richter). Celui qui est encore sur toutes les lèvres, sur les façades de quelques bâtiments, celui qui nous saute aux yeux tous les jours par la fenêtre, à travers cette tour en partie effondrée sur elle-même. Celui qui s'est imprimé dans les corps et dans les têtes, y compris la nôtre, à sa façon. Elle imagine des sensations inconnues et des scénarios catastrophes, anticipe d'improbables apocalypses, tandis que nous partons en quête d'appartement.
Chacun y va de son histoire, de son analyse, de ses connaissances en géologie ou de sa foi en les services municipaux de Concepción pour évaluer la solidité d'un immeuble. Chacun d'entre eux a été visité et estampillé, pour les plus résistants, d'un "Aprobado" censé nous épargner d'improductives réflexions. Ce seul mot devrait nous délivrer de tous les doutes. Les architectes, eux, sont évidemment formés aux normes antisismiques les plus rigoureuses, et doivent répondre devant la loi de leur travail pendant dix ans. Ce qui n'a pas empêché certains immeubles récents de s'écrouler. Tout dépend du sérieux des entreprises qu'on a chargées de l'inspection à l'époque.
On engrange les infos : des joints souples entre les immeubles leur permettent d'accompagner le mouvement des secousses. Les mouvements latéraux des plaques sont bien moins destructeurs que les mouvements verticaux. En cas de séisme il faut s'abriter sous une table ou sous l'encadrement d'une porte, et rester à l'intérieur jusqu'à ce qu'il s'arrête, puis sortir en s'éloignant de tout ce qui pourrait chuter. Et si possible, entre-temps, couper le gaz, l'électricité et l'eau.
Lundi 2 août, 3h du matin.
Les vitres tremblent. Le sol se déplace. D'avant en arrière. Plusieurs fois. On se croirait sur le tapis roulant d'une maison hantée de fête foraine, mais non, on est bien dans un lit, dans une chambre, dans un immeuble de Concepción. Figés. La terre se fout de nos évidences pendant un silence de dix secondes hors du temps.
- Tu l'as senti ?